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Michelangelo Antonioni, La Notte, 1961 |
Dans l’obscurité. Sous la pluie. Toi à la limite précise
où le sang de ce qui t’appartient s’écoule à travers la clôture
jusqu’à une terra incognita, où la traque sanglante de la nuit
démarre dans les taillis : impression que quelque chose se faufile
avec un sourire, prêt à l’assaut et à l’esquive rapide.
Une femme est en train de mettre le couvert ; la nappe
gonfle en se posant ; un verre à vin réfléchit la lumière.
Corbeille pour le pain, cuillers et bols pour le bouillon
comme de juste, toi sachant justement la fragilité
de ton emprise sur tout cela : fenêtre éclairée, faible
odeur d’iode dans le va-et-vient de la pluie.
Voici qu’elle regarde dehors, mais tu es invisible
tu l’as voulu, quoique ce soit peut-être une faiblesse
de se tenir à l’écart, en spectateur, de vouloir
suspendre son souffle une seconde pour tout figer.
La maison, la femme, la fenêtre, la lumière de la lampe
qui ne pèsent rien en comparaison de la terre nue —
vois-tu bien la scène ? Peux-tu dire pourquoi
tu te trouves justement là, à l’endroit précis où l’allée du jardin
s’enfonce dans le noir, toujours à l’observer
alors qu’elle se détourne brusquement, comme effrayée,
tandis que l’averse redouble et que son ombre sur le mur,
tremblante, est livrée à la nuit ?
Oui bien sûr, c’est le moment précis du mythe
où l’on regarde en arrière et que tout bascule vers l’enfer.
in L'île rebelle, David Harsent