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Edward Hopper, Excursion into Philosophy, 1959 |
Les lâches meurent bien des fois avant leur mort.
Shakespeare
Tout ce silence : des paroles trop grandes rangées à la va vite dans
les mauvaises boites, et dont il percevait encore les sons durs dans
l’air. Des saillies qui avaient tourné à la farce. Il avait crié fort,
elle s’était recouchée, il avait jeté une chaise en direction de la chambre
et le toast qu’elle n’avait pas eu le temps d’engloutir avait explosé.
Puis le calme était revenu. Sa honte lucide à nouveau là aussi
il s’était soudain redressé, pour faire disparaître les effets de sa colère,
qu’à son retour ces stigmates ne ravivent aucun sentiment déceptif.
Il avait ramassé la chaise, les restes du toast, essuyé du doigt le beurre,
rassemblé les miettes, gommé d’un coup d’éponge le signe « égal »
tracé en gris par les embouts noires de la chaise. Ensuite il s’était
replongé dans la lecture d’un roman d’Edward St Aubyn qui par
son unité le rassemblait. Mais seulement jusqu’à ce que cette histoire
d’aristocratique camé lui rappelle sa lâcheté même avec les drogues.
Des années avait passé. Sa consommation d’alcool ralenti. « Lâche ! »
se répéta-t-il. Et ce régime avait-il enrayé cette crise angoissante
de la veille ? Cela l’avait saisi par les deux bouts : peur orgueilleuse
de mourir un grand désordre laissé derrière soi ; regret de ne pas
s’être « annulé » plus tôt, quand il était encore temps d’être seul. Non,
la mort ne vient pas comme il faut. Il fut pris d’un vif désir. Relire
ces vieux poèmes. Ceux écrits dans ces années à bout de souffle,
plaie au flanc, survivant à l’obstacle en le passant à l’instinct.
Il n’avait pas achevé sa course. Il voulut relire. Cette nécessité cessa.
Il avait fait pour le jour son quota de désillusions. Il avait « ici »
bien assez relu. Certitude confortable. Comme un moteur bien réglé.