Je suis comme ce filtre à café dans lequel le chaud
liquide noir passe et repasse. Je me sens sale, usé, prêt
à me déchirer. Pourtant il y a un instant je reposais
dans un iridescent répit. Les pieds dans le sable froid
je fixais la barre nuageuse au-dessus du fleuve,
sa nacre griffée d’un bleu turquoise bavant du soleil
par-dessous. (Je parlais avec les yeux simplement
comme avec Dieu. « Il ne peut rien m’arriver. Que
peut-il m’arriver ? Rien. Excepté peut-être un poème. »)
Je pensais à Rothko qui a compris dans un instant
égal qu’il fallait, oui, éclairer la peinture par-dessous.
Rembrandt l’a fait à sa manière avec ses fonds
très travaillés. La Tour, lui, aura trouvé autre chose :
faire de ses figures des réflecteurs... Remontant l’escalier,
puis rue après rue, je pense à ma propre lumière.
Je l’ai trouvée partout ailleurs mais peu en moi. Oui,
je l’ai prise à d’autres et l’ai laissée me traverser,
avec les âmes, les pensées, les joies et les peines.
Je suis depuis longtemps ce filtre, usé, prêt à percer.