Me rebute le rêve rapporté dans une œuvre d’art. Il y a
vingt-cinq ans un pourtant s’est trouvé pris par moi dans
un poème. À vrai dire je me souviens encore, et davantage,
de la sensation ressentie dans le rêve, que j’avais, plutôt
que le rêve lui-même, voulu rapporter. Durant quelques
secondes (peut-être plus peut-être moins, la temporalité
onirique est imprenable) j’eus la certitude d’être un centaure.
Comme avec une caméra embarquée je m’imaginais voir
tout ce que vit un Chiron au galop. Je sentais mon double
cœur énorme cogner sous l’épais cuir. Avec un son identique
seulement plus audible, mes sabots frappaient la pente
humide d’aube d’une clairière. Je percevais, entouré d’une
nature qu’aucun mouvement n’agitait, contre ma figure,
sur mon crin, dans ma chevelure, le vent que produisait
la puissance de mon train. Et ce vent, je notais — seul
fragment du poème gardé par la mémoire — qu’il « avait
des harmonies de syrinx ». La sensation avait été intense,
vertigineuse. Et qu’un tel rêve me soit venu l’était à force
égale. D’où en moi cela avait-il jailli ? Je n’avais pas
encore lu Homère, ni découvert une seule page d’Ovide.
Mais ce poème oublié dont le titre me revient : Sabotage,
me suffit me souvenir l’avoir écrit pour en reprendre la sensation,
matière seule précieuse du rêve. Et dans ce galop comme
sans but, parti pour nulle part, la joie simplement d’aller.