Vous m'avez fait habiter une morte

Gerhard Richter, I.G., 1993























Comme des nécrophores
il fallait habiter la morte.

A peine avais-tu fait poser
la petite dalle blanche
comme une gomme qui n’effacerait rien,
tu gardas la main à la pierre

et fis bâtir une maison à la limite
de deux villes et dans aucune.

Cette maison devint assez vite 
le mausolée de ma sœur. Assez vite
je n’y eus aucune fonction. Ni fils ni frère.

Ou peut-être mendiant, ou feutier.
De ma propre vie,
de mes (appelons ça comme ça) prières.

Les murs se couvraient de tapisserie à mesure
que mes couilles se couvraient de poils.

Tu te battais avec les eaux usées,
je me battais avec les larmes et l’acné.

Tu maçonnais une enceinte, 
je me terrais dans mon cubiculum,
ma chambre, pièce jamais assez secrète
quotidiennement violée
par ta genitrix au cœur de marbre.

Je n’ai jamais eu la clé.

J’entrais par le garage,
où seul un cerbère échevelé, 
dont je ne saurai jamais si je l’ai haï
ou aimé, me saluait en mordant.

Puis le silence était la langue
commune. Un froid de mort
la torche qui brûlant la plante
du pied indiquait le chemin.

Ce cubiculum, cette chambre.
Je me barricadais de livres.

Alors, à grands coups de plumes,
de ruades d’ailes de tétras, de cygne
ou d’ange, j’inventais dans mon cube
un code tendre invisible à votre œil dur.

in Sole povero, Bruno Guattari Éditeur, 2023