Délivre

Georg Baselitz, Nero Oro, 2019























C'est là dans ce parc né d'un marais
comblé par les gravats d'une guerre,
hérissé d’herbe fade, de pins tortueux
que calment la bombe d’une colline,
le bénitier d’un étang,

que tes seize printemps

décident contre tel saule
de ta reconstruction solitaire.

C’est là que tu troques l’amour malheureux

contre l’amour malheureux.
(Ta famille ne te comprend plus,
tu comprends mal cette fille.)


C’est là que tu plantes l’amour malheureux
pour une passion sûre : cette croix
des faux édens, des spiritueux,

des montées qui t'allongent.

Mais c’est là aussi que tu stabilises ta croix
par la jointure de deux mains

et le dos fort d’un livre.

Vingt ans et quelques.
De retour, ta croix laissée derrière

(sauf peut-être l’amour),
tu traînes encore comme un délivre
la vomissure des mots

à la jointure d’un livre.

C’est là que tout s’est joué. Vraiment ?

Un livre. L’homme, quatre fois détruit

quatre fois reconstruit, aujourd'hui
lit, médite dans le parc inchangé.
Marche sur cinquante hectares de marais
comblé par les gravats d'une guerre.

in Sole povero, Bruno Guattari Éditeur, 2023