Les pommes

Georges Seurat, Garçon nu assis, 1883





























Pendant qu'il baisait ma mère sous la tente
je tirais dans les pommes avec son pistolet.

L'air marin ne passait pas la ganivelle des arbres,
le champ où nous campions l'été était torride.

En slip de bain je chargeais de plombs l'arme
lourde dans ma main d'enfant, visais les pommes

au bout des branches avachies. La gamine
de l'autre tente au bout du champ me rejoignait.

Elle vivait comme moi, seule, presque nue,
deux ans de plus, et quand je fuyais ses baisers

elle glanait une pomme dans l'herbe sèche,
d’une main la faisait rouler contre son sexe.

Le silence régnait sur le champ. Nul oiseau.
Parfois de la tente parvenait un râle, un rire bref.

Je la regardais faire. Je la regardais me sourire
en le faisant. Recommençais à tirer dans les pommes.

Une était empalée sur chaque piquet porteur,
amulette contre la foudre qui ne protège pas.

Fruit là par le folklore comme nous étions là.
Qui comme nous brunirait jusqu’au grand départ.

in Sole povero, Bruno Guattari Éditeur, 2023