Les voiles auriques

Hans Hartung, P1960–45, 1960






















Le bassin est un carré gris sur fond gris.
L’eau, le ciel, s'il n'y avait pas le vent
on ne saurait qui est qui. Déjà à peine
voit-on ce que chaque grain fait par à-coups
à l'eau du port. Les rafales courent sur
elle comme de grandes ombres d’aile,
qui sous la surface coupent, séparent
comme une lame aujourd’hui et la mémoire.

Il y a un an ce deux-mâts sombrait.
Un an et puis quoi ? Dans l’air, juste
deux mâts. Mais sous l’eau, même noyé
le bateau rêve, rêve un rêve qu’on voit :
les murmurations des étourneaux au-dessus
des mâts calmes redéploient ses routes,
regonflent ses voiles auriques. Il pleut
et la pluie est au noyé encore le beau temps.