Les forges

Nicolas de Staël, Arbre rouge, 1953






















Mais cette douleur m'a fait ce que le feu fait au bois.
Tout le superflu a brûlé. Ce qui reste est endurci.
Mickey Donovan

Rien n'est tranquille et recueilli
comme un espace de fête aboli.
Rien n'est calme et pacifié comme
le champ déserté d’une bataille.

Autour des pièces effondrées
où ont longtemps dansé les flammes
des fourneaux, parmi le béton
désarmé, l’herbe drue née des
pluies denses, les oiseaux chantent.

Moins l’enfer de la production
les chambres sont aujourd’hui noires.
Les bouteilles de bière brisées
craquent sous les pieds là-même
où les os rompus l’homme suait.

Dans ce couloir, trait de ténèbres
sur quoi il avait soixante ans tonné un feu
de tous les diables, maître de moi je passe
entre des démons graffés sur des colonnes.

Je m’engage, presque fier, roi
de rien drapé dans la cape invisible
d’un échec et d’une peine absorbés.
Je vais au bout, jusqu’à la porte vide,

ce soleil carré. Et refondu, un peu,
je descends un escalier cassé
par où montaient l’acier et des corps
façonnés à même la consomption.

Dehors la lumière se mêle au vent, et dans
le vert chartreuse du pré près des chardons
se tortillent des orvets de lumière.

in Une dernière langue pour la route