L'aurore

Nicolas de Staël, Les Toits, 1952





























La flèche de la chapelle Saint-Martin
te fixe à ton retour, fusée de silence
qui jamais ne s’arrache à la fumée verte
inerte de la canopée des chênes.

Les murs ont aussi des lèvres.
La voisine est silencieuse.
Ils ont aussi des lèvres, oui,
et parfois ils se taisent.

Le tendre halètement de l’aube affleure,
invisible frai de baisers à ton cou, à tes poignets.

Le poids léger d’une laine chère tombe en manteau
mais n’empêche pas le corps de trembler.

Toute la nuit dehors tu as échoué à couper ton cœur
et c’est l’aurore.
Ta fenêtre bée, le jour point.
Mais le sang est sans nuit, ne porte aucun conseil.

C’est l’aurore,
l’alcool berce les cellules et l’océan les céphalopodes.
D’autres trucs encore
n’agissent plus ou pas encore.

Par exemple ta main tremble, avec le bras et le diamant,
et le disque noir tourne, vite
et le disque jaune monte, lentement.

Tes paupières tombent.
Tes lycéennes en bas rient ici dans Mozart.
Son Requiem craque
et son air de deux airs en carton
a des cernes de vin.

Yeux fermés, verre à la main
comme une loupe mentale.

L’aurore et les rires dans l’aurore.
Et l’aurore, les rires, le Lacrimosa et le frai du vin
mauvais de moins en moins dans le sang.

in Sole povero, Bruno Guattari Éditeur, 2023