Grande surface inachevée

Romain Veillon, Nara Dreamland, Japon























Je me souviens qu'enfant,
sur la route de Saint-Nazaire à La Baule,
nous croisions toujours parmi les champs de paille de l'été
le rouge squelette rouillant
d'une grande surface inachevée,
abandonnée là,
à jamais sans chair ni lumière,
sans vie.
Mon père nous disait que le commanditaire de l'œuvre
avait fait faillite.
Je m'en souviens aujourd'hui,
parce qu'aujourd'hui je suis comme ce type,
à même de rompre à mi-chemin une parole
qui a pour chute l'espoir
d'être tenue par un autre,
comme le désir déçu de ce type
persiste et survit en moi.
Pour le reste du monde
nous n'aurons rien bâti,
demeurerons sans visage.
Et le temps fera s'éroder le pauvre et vain effort.
La rouille se chargera d'en faire tomber les poutres
qui, une à une, redeviendront à nouveau poussière
au contact du sol.
Et nous serons absorbés par la terre,
lui, elles et moi,
en une seule bouchée de la mort.