François, Thomas, Thérèse et les autres

Michel Ciry, Solitude de Jésus, 1962
























Près de vingt années le séparent de son dernier dessin. Aujourd’hui il veut retracer les figures de François, Thomas, Thérèse et les autres. Et puis des autoportraits. Les saints pour le commun sont des visages béats un peu niais, pâlots, qu’une lumière pourtant éperdument contemplée n’a jamais brunis, des profils séraphiques tendus vers le bleu du monde, s’ôtant au frottement informe de la bure sous laquelle oscillent les battements d’un cœur pris pour tout équipement d’ailes. Des niches en lui patientent, où positionner les vraies têtes des illustres mystiques. Sous son crayon, François, Thomas, Thérèse et les autres fixent, dans une présence terrifiante, l’œil qui les découvre comme surpris en flagrant délit de foi. Ils émettent ce qui doit être la bonté d’un air féroce, et cet élan exogène, sauvage du bien — par on ne sait qui, quoi, où — lui trouble l’âme comme un vent intrusif l’eau celée d’un aven. Cette transmission d’âme par le cœur, et/ou de cœur par l’âme, transcende comme une menace. C’est l’appréhension d’une opération dont la douleur sera plus grande que le mal qui aurait tué et qu’elle tuera. En quête d’un chemin, d’un raccord, entre leurs vies et la sienne, il compare les faciès terribles à ses physionomies lâches, où il se dégoûte. Ou parce que sa propre main, déficiente, n’est pas allée au bout d’elle-même, ou à cause qu’elle ait réussi à le toucher, à l’ébranler, bien trop franche et douée à l’atteindre. Il s’y reconnaît à côté, être adventice poussé au fossé du chemin. La route est large. Large comme un désert. Ce large lé, champ d’une « attention sans mélange », pressenti et visité dans ces airs qu’il a lui-même peints, et qui n’a nul centre, nulle fin, nulle frontière par où le pénétrer, parce qu’il ne lui donne nul indice se trouve être l’intuition qu’il doit chercher cette faille d’où y tomber dont il sait désormais qu’elle ne peut être qu’en lui.