Paul Gauguin, Pape Moe (L’Eau mystérieuse), 1893 |
Les courlis. Leurs corps bruns. Leurs longs becs.
Courlis, dont le nom épouse le cri. Je voudrais que
mon nom fasse ça aussi. Qu’il épouse mon cri.
Quand avec ses billes dures, ces notes dures
emprisonnées en mon sein, ma poitrine ne répète
en sourdine qu’une cantate de mort. Un loto
se joue en moi et j’avance au hasard. Pourtant
toujours droit devant. Le soleil lui ne mord pas encore
mais sous mes pieds crissent les petites canines
de milliers de mollusques morts. Tout fait un peu mal.
Je peine dans le sable, parmi les restes de fondations
de pêcheries abattues par le gros temps il y a
un demi-siècle. Et tout du long la biographie du
minéral : roche... galets... grit... sable. L'eau elle
aussi mâche, remâche. Mais aussi lave. Et malgré
qu’une corneille déchire l’air, jouant à l’oiseau de
mauvaise augure, je cède à ce conseil de l’immaculé
quand une mouette d’un blanc surnaturel, apparition
de la Vierge des oiseaux, me désigne du bec
une toute petite source qui brille en silence dans
un pli de la roche. La chevelure de l’herbe y goutte
sur le dos de la pierre. Dans l'ombre fraîche, que
projette un arbrisseau cramponné à la falaise,
deux tariers pâtres sans chant, par à-coups nerveux,
s'abreuvent à ce suintement, à cette eau sans bruit.
Une mésange s’invite, les stupéfie. Boit à son tour.
Et moi-même je me dessoiffe à cette estampe d'eau,
de becs, de fibre vibrionnante. Plus haut des herbes
grèges piquent la pierre du chemin. Des herbes raides
comme une ondée que toute une concorde fige.
Des herbes obliques comme des hastes stoppées.
in Sole povero, Bruno Guattari Éditeur, 2023