Laisse

Ambroise Paré, Des monstres et des prodiges, 1573





















Sur le sentier des douaniers le buisson de ronces
répand une capiteuse odeur de foutre et pour la
première fois je pense à quel point j’ai aussi cela en
moi : ce printemps agressif et qui a procréé deux fois.

Je descends les marches et quand je fais le pas
de trop un lézard se cache. Je perçois la lance
de son regard dans l’ébouriffure des petites herbes
à hauteur de mon front, l’instinct aux aguets dans
la roche, le minuscule cœur au rythme froid, martial.

Et soudain en moi une peur indéfinie.
Comme une modification.

À vingt mètres la mer expulse de sa chair
de poule dorée des vagues atones, et sur une
des marches qui me remontent au sentier,
tombé d’un des talus paysagés des bords, je remarque
le lambeau de jute d’une toile de paillage qui
a pourri et dont un court instant, effaré, je me dis
qu’elle pourrait être la mue d’un homme entier.

in Combattant varié, Aux Cailloux des Chemins, 2020